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MIRACLE GEOLOGIQUE A KIRCHBERG ? |
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La position étrange de l'église de Kirchberg, Haut-Rhin, a fait l'objet de nombreuses légendes. Des esprits plus rationnels évoquent pour expliquer ce phénomène déconcertant le mot "moraine", mot bien connu par de nombreux Kirchbergeois puisque de nombreuses discussions s'y sont rapportées, il reste pourtant mystérieux. L'histoire débute il y a plus de 165 ans, de grands débats passionnés animèrent la Société Géologique de France autour de l'histoire des Vosges…Lors d'une note lue à la séance du 2 décembre 1839, M.le capitaine du Génie Le Blanc fut le premier à avancer que certains blocs rocheux appartenaient sans doute à des dépôts glaciaires. Dès 1846, l'idée que les Vosges furent englacées est acquise pour les géologues et l'on parle même de trois époques glaciaires. En 1847, la moraine de Kirchberg est pour la première fois décrite par Collomb. Bien sûr, par la suite, les études se sont succédées et les théories ont été affinées, étayées par de nombreux arguments, rediscutées, balayées, validées à nouveau…Le sujet donne toujours lieu à controverse et un ouvrage récapitulatif récent (Sur la Trace des glaciers vosgiens FLAGEOLLET JC CNRS éd 2002 publications de F. MENILLET) fait la synthèse des connaissances dans ce domaine. Plus récemment, Pierre FLUCK, géologue émérite et président de la maison de la géologie à Sentheim, lors d'un cours à l'Université Populaire du Rhin en décembre 2003, évoque la moraine de Kirchberg, une "miraculée" car épargnée par l'érosion fluviatile. Elle a donc été sauvée des eaux ! Celle-ci est d'ailleurs inscrite sur la carte géologique de Thann (échelle 1/50000ème, agrandie ici 2 fois) sous l'appellation Gya (trait bleu). L'idée la plus répandue, notamment dans les guides touristiques, veut qu'elle soit située sous l'église, en bonne miraculée ! Pourtant, cet emplacement est remis en question. Ainsi, débutons l'enquête par une définition de la moraine. |
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Cliquez sur la moraine notée Gya pour la voir en photo, barrant la vallée. |
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Étymologiquement ce mot, moréna en dialecte
savoyard, est à rapprocher
des mouraines, talus d'épierrage (on enlevait les pierres des champs et
on les regroupait sur un talus) séparant les champs dans le Jura et des
mourines, éboulis de gros blocs dans les Hautes Alpes. Toutefois, cette étymologie
peut entraîner des confusions, géologiquement une moraine est un
ensemble de pierres entraînées et déposées par un
glacier (cf. schéma ci-contre, d'après FLAGEOLLET). Il existe différents
types de moraines suivant la nature des matériaux qu'on y trouve ou suivant
leur localisation (latérales, de fond, frontales). Avant d'aborder la question de la miraculée, peut-être est-il bon de donner quelques notions concernant les glaciers : le glacier résulte de l'accumulation de la neige dans certains sites du relief favorables à la réception et au stockage de celle-ci. La puissance du glacier accentue les reliefs et creuse ces larges réceptacles où la neige s'entasse au fil des ans et qui se présentent sous forme de cirques creusés dans le cadre montagneux, comme le lac du "grand" Neuweiher. Sous l'effet de la pesanteur, le glacier, telle une lave visqueuse, sous forme de langue glaciaire (l'avant du glacier), a tendance à descendre vers l'aval, où il fond. Le maintien d'un glacier suppose un équilibre entre l'accumulation et la fonte (ou ablation). Si cet équilibre est rompu on assistera à une crue ou une décrue. Qu'il soit en crue ou en décrue, le glacier est toujours animé d'un mouvement vers l'aval. ![]() |
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Le glacier est un agent d'érosion, il bouleverse
les paysages (creusement par les eaux, usure par frottement ou abrasion,
arrachement de blocs, etc.) et aussi un formidable agent de transport pour
tous les matériaux rocheux qui tombent sur sa surface (moraine superficielle).
Sur les côtés et sur l'avant, les dépôts ainsi
acheminés puis déposés sous forme d'énormes
bourrelets, constituent les moraines frontales et latérales. Tous les indices qui corroborent l'existence passée d'un paysage glaciaire se retrouvent dans les Vosges : • la forme des vallées en auge, • la présence de cirques glaciaires comblés par des lacs, les moraines, les blocs erratiques (des gros rochers déposés lors de la fonte du glacier), • les dépôts fluvio-glaciaires (la fonte du glacier donne beaucoup d'eau qui ruisselle), • les modelés particuliers comme les roches moutonnées visibles au bout de la digue du lac d'Alfeld (voir la photo ci-dessous). Ce poli glaciaire correspond à l'abrasion des roches sous-jacentes (ici du granite des Ballons) par le glacier. Il a été mis à jour lors des travaux de la construction de la digue du lac. • Cette digue est construite sur ce qu'on appelle un verrou glaciaire qui est formé par des roches très résistantes de la croûte terrestre (granite ou autres roches magmatiques en général) et sur lequel passe le glacier qui y laisse des traces parfois importantes. En aval, le lac de Sewen est "retenu" par un ancien verrou surmonté par une moraine. Son remplissage par une tourbière est récent et s'est fait progressivement, il finira par être totalement comblé. |
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Venons-en à Kirchberg… Tout d'abord l'église : après une étude de la carte géologique, on constate que le terrain sous l'église n'est pas déterminé. Après un bref entretien avec le docteur Robert DORGLER, féru de géologie, et avec Laurent NEYTON de la maison de la géologie de Sentheim, il apparaît que ce qui constitue le soubassement de l'église est une roche cristalline de la croûte terrestre, très résistante dont la nature précise reste à étudier. Il y aurait même de superbes traces comparables à des "griffes de géants" recouvertes aujourd'hui par un bon mètre de terre avant l'entrée du cimetière, elles témoignent du passage du glacier en des temps reculés. Les dates concernant la dernière glaciation sont entre -20 000 ans (maximum) et -10 000 ans (fin de la glaciation, début du réchauffement). |
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Alors qu'en est-il de la moraine? |
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En longeant cette trace, on constate que le bourrelet se
poursuit tout le long du village et barre la vallée. C'est dans
un jardin qu'un affleurement attire l'œil… Nous sommes dans
le jardin de M. FILIA, rue du village. Un entretien révèlera
que, suite à des travaux, il a mis à jour des roches de toutes
tailles, du petit galet de 2 cm au bloc de 2 mètres, bien séparés
et cimentés par une "farine" très compacte. Les
blocs sont bien arrondis sauf quelques uns qui ont des arêtes plus
anguleuses (cf. photo ci-dessus, le marteau est destiné à donner
l'échelle). |
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La voilà, la moraine, miraculée
car elle aurait dû être érodée par les fleuves…mais
protégée par le verrou glaciaire sur lequel repose aujourd'hui
l'église.
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Allons plus loin, imaginons la vallée vue de Kirchberg telle qu'elle devait être au début de la fonte du glacier qui recouvrait tout sur une épaisseur importante (500 à 700 mètres) il y a entre 10 et 20000 ans.
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Les traits pointillés indiquent la moraine et le maximum d'extension du glacier pour la dernière glaciation JD |
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